Métaphore du vide

365 jours. 5 sortes d’antidépresseurs, 3 d’anxiolytiques, 2 de somnifères. Plus de 500 bouteilles de vins, toutes vidées jusqu’à la dernière goutte. 365 jours de mauvaises décisions, de coup de têtes, de laisser aller. 365 jours de souffrance, de douleur, d’incompréhension. 365 matins à me réveiller et à ressentir la lourdeur du vide, la pesanteur de l’absence. 365 jours sans toi.

Tu as le dos large ! C’est bien effronté de ma part de justifier mon alcoolisme par ton départ. De justifier le 3000$ de cochonneries dépensées chez IKEA parce que j’ai jeté ma table qui me faisait trop penser à toi. De justifier ma dépression, mes crises, les objets brisés, jetés, mon incompétence parentale, par ton départ. C’est pas de ta faute, mon précieux ami, si j’ai perdu le nord.

Quelle idiote je fais, derrière mon volant, stationnée devant ton parc aux canards. La musique dans le tapis, question d’étouffer le bruit de mes cris, de mes hurlements. Ces sons qui prennent forme dans le bas de mon ventre, déchirent mes poumons et résonnent à travers mon corps pour finalement sortir dans un cri infernal. Comme un animal blessé qui hurle en attendant la mort. Les larmes qui coulent sans préavis, qui brûlent mes joues, sont tout ce qui me reste de cet amour omniprésent qui n’a plus de destination.

365 jours, que ma vie a implosée. Qu’elle a pris le champ comme un char sur une plaque de glace noire impossible à éviter. Qu’est-ce qui s’est passé ? J’ai rien vu venir, j’ai pas su encaissé. Le choc, la tête qui tourne et tourne sans arrêt, impossible de reprendre le contrôle du volant, impossible de retourner en arrière. La route n’est plus là, elle s’est évanouie avec toi. J’avais encore besoin de toi, sur le siège passager, pour m’aider à conduire tout droit…

Chaque garde-robe, chaque boîte, chaque clés USB ; j’ai tout vidé, fouillé, viré à l’envers à la recherche de souvenirs, de preuve de ton existence. Quelque chose, n’importe quoi qui puisse me lier à toi. Une lampe de poche, une tuque, des lunettes de soleil, une passoire… Et quelques photos… Si peu de photos. Comment est-ce possible d’avoir si peu de concret de ta présence dans nos vies ?

Mon précieux ami, mon grand-frère de cœur, mon beau-frère hypothétique. Pourquoi j’ai tant besoin de te donner un titre ? Les mots ne semblent jamais assez fort pour décrire ce qu’on ne peut pas voir. Ce besoin sans fin de crier à tue-tête à qui veut bien l’entendre que personne ne peut comprendre. C’est vrai, personne ne peut comprendre. Il n’y a pas deux relations pareilles qui existent. Tu n’étais pas pour mon amoureux ce que tu étais pour moi, et vice-versa ; mais tu faisais partie de nos vies, à part entière. Peu importe comment et pourquoi.

365 jours à essayer de comprendre. À analyser chacun de tes regards, chacun de tes gestes, chacune de tes paroles. Qu’est-ce qu’on a manqué ? Ou est-ce qu’on a échoué ? Je savais que ça n’allait pas quand tu m’as demandé si tu pouvais me prendre dans tes bras. On était pas tactile toi et moi, on l’a jamais été. On donne pas des calins à tout bout de champs à la blonde de son meilleur ami, ca va de soi. J’aurais dû comprendre, j’aurais dû prévenir, j’aurais dû… La culpabilité est un sentiment terrible à porter ; elle accentue la pesanteur du vide.

365 jours à glisser, tourner, à essayer de m’agripper pour reprendre le contrôle. Tout ce temps, mes yeux sont encore ouverts. La route s’est effacée derrière moi, la vie que je connaissais s’est envolé en éclat. Les feuilles dans les arbres ont poussé, pour éventuellement retomber. La neige a fondu sous la chaleur du soleil et est revenue s’installer aussi vite qu’elle était partie. Le temps a défilé sans que je ne le voie, les jours ont passé sans que je ne puisse les compter. Pourquoi ? Pourquoi quand je te cherche je ne te trouve pas. Pourquoi la nature semble avoir tant de facilité à suivre son cours alors que mon cœur est gelé dans le temps.

Chaque soir, je regarde le ciel à ta recherche. Je sais que tu t’y cache quelque part. Je sais que tu veille sur nous, pour toutes ces nuits ou tu viens me voir en rêve. Pour tous ces souvenirs oubliés qui me reviennent soudainement en tête…

Mon grand ami. Chaque jour me sépare un peu plus de toi. De ton rire, de ta voix, de ton entrain, de ta présence. Mais chaque jour, tes mots sont imprégnés dans ma tête. Tes mains accrochées à ma fenêtre de voiture pour m’empêcher de partir. Ta phrase que tu ne cesses de répéter en boucle. « Écoute moi, écoute-moi, c’est important ». Je t’écoute. Je vais continuer de sentir le vent souffler, le soleil me réchauffer. Je vais continuer de marcher et d’observer toutes ces petites choses autour de moi qui rendent la vie si unique, si fragile. Je vais continuer d’écouter notre musique en respirant l’air pur qui me rappelle que je suis en vie, en pensant à toi. Je t’écoute. Si seulement tu t’étais écouté, toi aussi…

Je t’aime mon ami…

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Merci pour ce témoignage Lola. Les mots peuvent parfois mettre un baume sur les maux.
L’incompréhension à la suite d’un suicide amène son lot de questions et d’émotions. Le chemin est sinueux et il peut être entravé d’obstacles, et en même temps il est possible de sentir à nouveau le soleil nous réchauffer. Nous souhaitons qu’à travers ces petites choses autour de vous, il y en ait qui vous apporte amour, réconfort et bienveillance.

Prenez soin de vous. Vous êtes important.e.

Ariane
Équipe de modération :orange_heart:

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Ton témoignage vibrant d’émotions m’a émue aux larmes :sob:
Merci de ton partage!

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